Wednesday 22 February 2017

Yassmina khadra l'attentat extrait du roman

Yasmina Khadra

L’attentat / extrait du roman

Je ne me souviens pas d’avoir
entendu de déflagration. Un
sifflement peut-être, comme le
crissement d’un tissu que l’on
déchire, mais je n’en suis pas sûr.
Mon attention était détournée par
cette sorte de divinité autour de
laquelle essaimait une meute
d’ouailles alors que sa garde
prétorienne tentait de lui frayer un
passage jusqu’à son véhicule.
« Laissez passer, s’il vous plaît. S’il
vous plaît, écartez-vous. » Les fidèles se donnaient du coude pour
voir le cheikh de plus près, effleurer
un pan de son kamis. Le vieillard
révéré se retournait de temps à
autre, saluant une connaissance ou
remerciant un disciple. Son visage
ascétique brillait d’un regard
tranchant comme la lame d’un
cimeterre. J’ai essayé de me dégager
des corps en transe qui me
broyaient, sans succès. Le cheikh
s’est engouffré dans son véhicule, a
agité une main derrière la vitre
blindée tandis que ses deux gardes
du corps prenaient place à ses
côtés… Puis, plus rien. Quelque
chose a zébré le ciel et fulguré au milieu de la chaussée, semblable à
un éclair ; son onde de choc m’a
atteint de plein fouet, disloquant
l’attroupement qui me retenait
captif de sa frénésie. En une
fraction de seconde, le ciel s’est
effondré, et la rue, un moment
engrossée de ferveur, s’est
retrouvée sens dessus dessous. Le
corps d’un homme, ou bien d’un
gamin, a traversé mon vertige tel un
flash obscur. Qu’est-ce que c’est ?…
Une crue de poussière et de feu
vient de me happer, me catapultant
à travers mille projectiles. J’ai le
vague sentiment de m’effilocher, de
me dissoudre dans le souffle de ’explosion… À quelques mètres –
ou bien à des années-lumière – le
véhicule du cheikh flambe. Des
tentacules voraces l’engloutissent,
répandant dans l’air une
épouvantable odeur de crémation.
Leur bourdonnement doit être
terrifiant ; je ne le perçois pas. Une
surdité foudroyante m’a ravi aux
bruits de la ville. Je n’entends rien,
ne ressens rien ; je ne fais que
planer, planer. Je mets une éternité
à planer avant de retomber par
terre, groggy, démaillé, mais
curieusement lucide, les yeux plus
grands que l’horreur qui vient de
s’abattre sur la rue.

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